Qui contrôle les centrales nucléaires?
L'accident de Fukushima a porté la question nucléaire sur le devant de la scène politique mondiale. Comment s'assurer de la sécurité des centrales nucléaires? Qui peut les contrôler?
Inassurable par le secteur privé, le nucléaire relève de conventions internationales spécifiques sur la responsabilité civile en matière de dommage nucléaire. Issu de la création du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en 1945, le nucléaire civil français se veut une technologie banalisée, sous la forme d'installations destinées à produire de l'électricité, dont les origines militaires sont un préalable effacé. Jusqu'en 1979, année de l'accident de Three Miles Island aux Etats-Unis, le nucléaire civil se présentait comme une technologie "sans histoire". L'entrée en fusion d'une partie du réacteur de la centrale américaine, puis l'explosion de la centrale de Tchnernobyl en 1986 et l'accident de Fukushima en 2011 conduisent l'opinion publique à exprimer de plus en plus largement ses craintes, tandis que la demande sociale d'un véritable débat sur les enjeux écologiques, économiques, sociaux et politiques de cette technologie s'accentue.
Depuis Fukushima, les acteurs du nucléaire français se font les hérauts de la transparence. Lors d'une audition à l'Assemblée nationale, le 16 mars, le ministre de l'industrie Eric Besson a insisté sur "l'effort de transparence de l'ASN (autorité de sûreté nucléaire ) et de l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nationale) qui informent sans relâche. Toute l'information que nous avons, nous la donnons", a-t-il déclaré à propos du suivi de l'accident de Fukushima."En tant qu'industriel, nous allons avoir besoin de reconstruire la confiance sur le sujet. Il s'agit d'un enjeu clé pour l'avenir de notre industrie" a ajouté Anne Lauvergon la présidente d'Areva.
Mais lorsque le commissaire européen à l'énergie, Günther Oettinger, affirme que certains réacteurs européens ne satisfont pas aux plus hautes normes de sécurité requises, Eric Besson se dit "surpris et choqué par ces déclarations qui sont de nature à inquiéter nos concitoyens et à jeter le discrédit sur une industrie". Lorsque le commissaire invoque la nécessité de stress tests plus exigeants que ceux proposés par les gouvernements de l'Union, le ministre Eric Besson oppose une fin de non recevoir. Selon M. Oettinger, les critères à envisager concernent la résistance des centrales à un séisme, une inondation, des variations de température extrêmes ou une panne majeure dans les circuits de refroidissement – critères sur lesquels les Etats européens sont d'accord. Mais le commissaire entend en inclure d'autres : la défaillance humaine, un acte malveillant, une attaque informatique, la chute d'un avion, une action terroriste. Sur ces points, il y a discorde. L'autorité de sûreté nucléaire (ASN) française estime que la notion d'attentat est trop stratégique pour être compatible avec la transparence. Certains regrettent que les stress tests soient confiés aux autorités nationales, représentées par l'Association des régulateurs nucléaires d'Europe de l'ouest (Wenra), proche de l'industrie nucléaire, plutôt qu'à un panel d'experts européens indépendants.
Les tensions politiques qui s'expriment au sein de l'Union européenne autour des normes de sûreté sont révélatrices de l'absence de coordination internationale du nucléaire mondial. L'électrochoc de Fukushima catalysera-t-il une nouvelle gouvernance ? Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a annoncé une conférence internationale sur ce thème à New York le 22 septembre. "Les événements récents suggèrent d'importantes lacunes dans la façon dont la société et les systèmes internationaux pensent et agissent contre les violations dans le domaine de la sûreté nucléaire", a-t-il expliqué lors d'une table ronde sur le nucléaire, en marge de la troisième Conférence internationale de l'ONU sur la réduction des risques de catastrophes à Genève, le 10 mai. Destinée à tirer les leçons de Fukushima et à améliorer la coopération entre pays, cette conférence onusienne se basera sur les résultats de la réunion organisée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) en juin, à Vienne, sur l'amélioration de la sécurité nucléaire.
Principal pilier de l'industrie mondiale de l'atome, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a été créée en 1957 à l'initiative des Etats-Unis pour faire la promotion de l'énergie nucléaire et garder le contrôle de l'information sur la radioactivité. L'AIEA est en effet liée à l'Organisation mondiale de la santé par un accord, daté de 1959, stipulant que les deux agences "peuvent être appelées à prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de renseignements qui leur auront été fournis". Selon le site IndependantWHO, qui milite en faveur de l'indépendance de l'OMS, l'accord OMS-AIEA explique pourquoi l'OMS a minimisé les conséquences de Tchernobyl puis de Fukushima. En 23 ans, "aucun programme social et médical digne de ce nom n'a été mis en place dans les zones contaminées de Tchernobyl" et, "dans les pays nucléarisés, les études épidémiologiques sont rares voire inexistantes". La question des seuils de radioactivité admissible, la gestion post-catastrophique ne sont pas traitées par l'OMS, organe des Nations unies étrangement démuni sur le sujet.
La forme d'une gouvernance internationale du nucléaire reste à inventer. Droit à la sécurité, droit à la vérité et droit à l'indemnisation pourraient être les piliers juridiques d'un droit des catastrophes, selon le juriste Claude Lienhard. Pour l'heure, la France, pays du monde le plus nucléarisé par habitant, va piloter le prochain sommet de Deauville le 26 mai prochain. Le gouvernement français a l'intention de prendre le leadership sur la question de la sûreté nucléaire et ambitionne d'obtenir un agrément international sur les normes de sécurité lors d'une réunion ad hoc du G8 élargi, les 7 et 8 juin prochains à Paris. Le G8 va également se pencher sur le bouclage du budget nécessaire à la construction du nouveau sarcophage de Tchnernobyl pour les 100 prochaines années, qui sera en partie confiée aux groupes Vinci et Bouygues, fleurons de l'industrie française.